Gabon: «Je vis un traumatisme qui ne dit pas son nom», raconte un rescapé de l'«Esther Miracle»
Au Gabon, le président Ali Bongo a décrété le 13 mars 2023 un deuil national de trois jours. Décision prise quatre jours après le naufrage du navire Esther Miracle. Tous les drapeaux seront mis en berne. Les activités festives et sportives sont suspendues. Le ferry reliait Libreville à Port-Gentil, lorsqu'il a sombré dans la nuit du 8 au 9 mars. 124 personnes ont été secourues. Mais le dernier bilan s'élève à 6 morts et 31 disparus. Des moyens importants sont toujours déployés pour tenter de retrouver ceux qui manquent à l'appel. Ce drame a choqué le Gabon. Une catastrophe racontée en détail par l'un des survivants du naufrage. Jean-Jacques Mendome Ayang est l'un des responsables de l'Académie Club de Libreville. Il devait se rendre avec son équipe de football à Port-Gentil. Il raconte le naufrage à Sébastien Németh.
RFI : Comment a commencé le naufrage de l’Esther Miracle ?
Jean-Jacques Mendome Ayang : Autour de 3h30, le gendarme qui était à bord du bateau, qui servait de commandant de bord, il vient nous dire que le bateau a quelques soucis, donc nous sommes obligés d'aller doucement pour relier Port-Gentil. On a dit « bon y a, pas de souci », quelques temps après le monsieur est revenu pour nous annoncer que parmi les deux moteurs qui font tourner le bateau, il y a un qui s'est arrêté donc il est impossible d'avancer, c'est mieux de repartir sur Libreville. C’est à partir de ce moment que tout le monde était quand même inquiet. Quelque 5 ou 10 minutes plus tard, bon il y a une hôtesse qui est arrivé nous dire : « Bon, écoutez, on va vous montrer comment il faut porter des gilets de sauvetage. » C'est à ce moment-là qu'on a senti qu’il se passait quelque chose. Tout le monde s'est agité et le bateau allait d'un côté déjà. Là, c'était du sauve-qui-peut. J'avais une porte devant moi, je n'ai pas eu la force de la casser. On a soulevé les rideaux qu'on met autour du bateau, là, on s’est rendu compte qu’il y avait des baies vitrées, je suis sorti par là, et puis j’ai vu tout le mouvement que le bateau était en train de faire, il coulait vraiment à pas de tortue, ça penchait de plus en plus. En moi, il y avait quelque chose qui me disait de ne pas paniquer, il fallait affronter le danger. C’est juste après que le bateau s'est complètement renversé, le bas du bateau s'est retrouvé à la surface de l'eau.
Dans quelles conditions avez-vous survécu une fois sorti du bateau ?
Il y avait une vieille roue qui était attachée là, donc je m’étais accroché à cette vieille roue là, jusqu’à ce que le bateau s'est complètement renversé, il a laissé quand même une partie en surface, c’est sur cette partie-là que nous sommes allés. Nous sommes restés là à sept parce qu’il fallait sauver celui qui se noyait. On avait le président de notre équipe qui se noyait vraiment, il s’est beaucoup battu, parce qu’il a pris beaucoup de coups dans l'eau, mais il a tenu parce que nous lui avons demandé de tenir. Il était en train de crier « au secours ! ». Nous lui avons dit que nous étions là et qu'il fallait qu'il tienne. Et au moment où il était près de nous, on l'a tenu par les deux bras et il est venu sur le bas du bateau.
Donc vous êtes restés comme cela en fait, sur la partie du bateau encore en surface ?
Oui, il avait déjà coulé, mais il s’est avisé qu’en se stabilisant il a laissé une partie en surface. Le gendarme nous a dit qu’il fallait qu’on parte de là parce que le bateau va aller en profondeur, donc le manager de notre équipe a sauté, le gendarme aussi a plongé, mais moi j'ai dit à ceux qui sont restés avec moi de ne pas s'agiter et qu'il fallait qu'on reste là, qu’on trouve seulement un moyen pour que les gens nous viennent en aide. Et tout ça s'est passé dans le noir.
Comment ça se passait pour les dizaines d'autres passagers qui étaient à bord ?
Je ne saurais vous le dire avec exactitude parce que nous étions dans la nuit. Chacun cherchait à se sauver. La seule image que je retiens c’est que, effectivement, l'équipe du bateau, le commandant de bord et ces gens, ils ont balancé les bouées, les bouées de sauvetage. Et puis, les plus rapides, ils sont montés dans les bouées de sauvetage, donc je n'entendais que les cris des gens, je ne voyais que les eaux bouger. À ce moment-là, il y avait la panique dans l'air donc je ne peux pas décrire cette scène-là.
Comment avez-vous été secouru finalement ?
Les secours ont pu nous atteindre à travers mon téléphone. Pendant que le bateau coulait, moi, je communiquais avec mes parents, ils n'en revenaient pas, je leur disais effectivement : « Je vous appelle et le bateau est en train de couler. » Il y a un sac qui trainait, en surface là, on a ouvert le sac et a retrouvé les fumigènes. Donc on a balancé les fumigènes en pleine mer, on a balancé pour signaler qu'il y avait des gens qui étaient en détresse puis nous sommes restés là.
Et les secours ont fini par arriver ?
Quand je vous parlais de mon téléphone tout à l’heure, le président de notre club a usé de son carnet d'adresse, il a appelé ses connaissances pour dire qu'on était en détresse, qu'il fallait que les gens viennent. Juste après que deux navettes sont arrivées, deux navettes blanches, ça va ils nous ont rassurés, que de toute façon ils ont été alertés, ils sont venus pour nous chercher. Ils nous ont demandé de ne pas paniquer et de monter directement dans les navettes.
Et comment vous sentez-vous aujourd'hui ?
Je suis en train de vivre un traumatisme qui ne dit pas son nom parce que je dois toujours rester au contact des gens. Si je ne parle pas et que je pense à ce scénario-là tout de suite je commence à trembler et je commence à pleurer. Il y a des amis qui viennent à la maison, les amis et connaissances, ma femme est là, mes enfants sont là, et je fais tout pour être avec eux. On bavarde ou je prends un petit verre de gauche à droite. Donc, il faut vraiment que je sois actif, il faut que je sois là où il y a le mouvement pour oublier cette situation-là.
Alors, il y a une polémique sur l'efficacité des secours. Qu'en pensez-vous ?
Les secours ont été bien coordonnés. Déjà que ça se passait dans la nuit. C’est un accident. C’est quelque chose d'imprévisible, donc je ne vais pas dire que dans les cinq minutes qui suivaient il fallait que les gens soient là. Ce qui a été mis en place pour nous sauver, ça a suivi, parce que on a prêt de 150 survivants. J'estime que le sauvetage a été bien coordonné.
Le gouvernement a demandé un audit de tous les navires de transport de passagers. Ça vous semble important ?
Oui, je fais d’abord confiance au gouvernement de mon pays et nous, les passagers, nous ne pouvons demander qu'à nos gouvernants d'être un peu plus rigoureux sur ce genre de navire mais je sais qu’ils s’attèlent à le faire. Voilà, c’est un accident qui est arrivé, un accident c'est un événement imprévisible. Moi je pense, pour eux, ils en sont conscients, ils font leur travail.
Votre équipe, votre entourage, tout le monde a survécu ?
Nous étions à 17 joueurs plus quatre dirigeants, donc nous sommes tous sortis sains et saufs, on ne cherche personne.
Ça doit être un soulagement, j'imagine ?
Le soulagement est mitigé parce que même, ceux qui sont partis, si je ne les connaissais pas ce sont des Gabonais comme moi, ils sont des humains comme moi. Donc, je compatis à cette situation. Nous, nous en sommes sortis sains et saufs, j'aurais bien voulu que ça soit le cas pour tout le monde.
► À lire aussi : Gabon: au Port-Môle, la tristesse se mêle à la colère après le naufrage mortel