La montagne en partage
Depuis que l’alpinisme ou les sports d’hiver comme le ski se sont développés dans les Alpes et ailleurs, force est de constater la montagne est devenue le terrain d’inégalités profondes. Un domaine d’altitude réservé à ceux qui ont les moyens de l’arpenter, de s’y projeter. Un espace de privilèges, masculin souvent, de blanchité aussi. Comme un plafond, non pas de verre, mais de glace ou de neige… Mais certains s’attachent à le briser.
Dans les Alpes, les Grandes Jorasses, les Droites, le Cervin, le Schreckhorn, l’Aiguille Blanche de Peuterey, l’arête du Brouillard, le Weisshorn ou le Mont Blanc font partie des 82 sommets qui s’élèvent à 4 000 mètres et plus. Atteindre ces sommets est un vieux et grand rêve d’alpiniste. Le rêve que fait depuis dix ans l’association française 82-4000 Solidaires (un nom donné en écho à ces sommets alpins) va, lui, plus loin. Et consiste à emmener en haute montagne tous ceux qui en sont exclus ; parce qu’une ascension avec un guide coûte cher, parce qu’ils considèrent que là-haut n’est pas leur place, parce que jamais personne, finalement, ne les y a emmenés, invités ou accueillis.
Aujourd’hui, le ski, sport d’hiver roi dans les montagnes ne concerne que 7% des Français et il en coûte près de 4 000 euros pour une semaine au ski, pour une famille de quatre. Aussi, les classes de neige qui, jusque-là, offraient au plus grand nombre un premier goût de la montagne, fondent comme neige au soleil : une baisse de 30% par exemple en région parisienne, faute souvent de moyens, en raison de coupes budgétaires. Pourtant, les classes de neige et cette idée plus largement de la montagne pour tous, éducatrice, bienfaitrice, c’était en France un idéal fondateur de l’après-guerre, issu des grands mouvements d’éducation populaire, laïcs ou chrétiens, nés à l’entre-deux-guerres dans le sillage des acquis sociaux du Front Populaire.
Défendre une montagne accessible, inclusive et solidaire, c’est donc la mission que s’est donnée l’association 82-4000 Solidaires, en collaboration notamment avec le mouvement ATD Quart Monde. Constituée de guides, d’alpinistes français ou de passionnés de montagne, l’association propose des stages d’alpinisme à des personnes en grande précarité et revendique par là un droit aux loisirs et à la montagne pour tous. Depuis 2013, ce réseau de bénévoles a déjà réalisé 75 stages, faisant de la montagne et des ascensions en cordée un outil de construction personnelle, d’insertion sociale et de partage tout simplement.
Rencontre avec Hugues Chardonnet, médecin, diacre, guide de haute montagne et fondateur de l’association 82-4000 Solidaires.
Plus d’infos :
- Sur l’association 82-4000 Solidaires née à Briançon dans les Hautes-Alpes. Une antenne en Haute-Savoie a déjà vu le jour et une nouvelle dans les Pyrénées va prochainement ouvrir.
- Sur « Les Rencontres de la montagne partagée » co-organisées chaque année par « 82-4000 Solidaires », « CAF Jeunes en Montagne » et « En passant par le Montagne », 3 associations qui œuvrent pour rendre la montagne plus accessible, solidaire et inclusive.
- Sur le mouvement ATD Quart Monde avec lequel collabore l’association 82-4000 Solidaires.
À lire :
- « Les sommets sont à tous ! Partager la montagne avec les plus pauvres » de Laureline Dubuy et Hugues Chardonnet. Éditions Glénat. 2022
- « La montagne pour tous. La genèse d’une ambition dans l’Europe du XXe siècle » d’Olivier Hoibian. Éditions Le Pas d’oiseau. 2020.
- « De la MJC aux sommets alpins. Enjeux autour d’une culture populaire de la montagne ». Un article de la doctorante en géographie Léa Sallenave, datant de 2019, à retrouver ici en ligne
- « Les Enfants de la Clarée », de Raphaël Krafft. Éditions Marchialy. 2021. Un récit autour de l’arrivée en 2017 de migrants, souvent guinéens, à la frontière franco-italienne, près de Briançon et le réseau d’habitants qui s’est constitué pour les aider.