«USA, la prochaine guerre civile», de Stephen Marche
Les États-Unis sont-ils au bord d'une guerre civile ? C'est un fait, répond Stephen Marche. Dans son ouvrage USA, la prochaine guerre civile, l'auteur canadien soutient que le pays n'a jamais été autant divisé depuis la guerre de Sécession. Pour lui, la question n'est pas de savoir s'il y aura une guerre civile prochainement aux États-Unis, mais plutôt quand ! Dans son livre, il explore cinq scénarios susceptibles de déraper et de déclencher le chaos : la tentative d'assassinat du président par un jeune désœuvré, un violent ouragan qui s'abat sur New York ou encore un shérif qui se bat contre les troupes fédérales pour sauver un vieux pont. Marie Normand a joint l'auteur à Toronto.
RFI : « Les États-Unis touchent à leur fin ». C'est avec cette phrase glaçante que vous ouvrez votre livre USA, la prochaine guerre civile. Est-ce que ce n'est pas un peu alarmiste ?
Stephen Marche : Eh bien, vous savez, c'est drôle. Je travaille sur ce sujet depuis 2018. Mes éditeurs de l'époque m'ont dit : « Vous êtes terriblement alarmiste, non ? » Et j'ai répondu : « Non, je ne pense pas. » Et puis le 6 janvier est arrivé, l'attaque du Capitole, et ils m'ont dit : « Oh, ok, vous aviez raison ! » Alors bien sûr, rien n'est inévitable. Mais les États-Unis sont l'exemple type du pays au bord de la guerre civile, que tout un tas de facteurs tendent à conduire à la guerre civile. Ces risques ont été modélisés et chaque année, cela ressemble de plus en plus à une guerre civile. Vous savez, l'Amérique est un pays en profonde mutation. C'est un pays révolutionnaire qui peut se transformer très radicalement, mais la vérité, c'est que je ne vois rien aux États-Unis qui permette de s'éloigner de cette situation qui ne fait qu'empirer, et qui mène à des conditions absolument propices à une guerre civile.
Vous évoquiez à l'instant l'attaque du Capitole. Parfois la réalité est pire que les prévisions ?
Je pense que ce que l'on voit à la surface de la politique américaine est moins important que ce qui le sous-tend. Ce que l'on observe aux États-Unis, c'est une Constitution incroyablement décrépie qui n'est pas vraiment capable de faire face aux réalités du XXe siècle. La Constitution a été rédigée il y a 250 ans ! La France en est à sa cinquième République. Ils en sont encore à leur première ! Elle ne répond plus vraiment au monde tel qu'il est. Il y a aussi cette haine entre les deux camps qui ne cesse de croître. Il y a un déclin incroyable de la foi dans les institutions : ils ne croient plus en leur justice, ils ne croient plus en la Cour suprême. Leur discours devient de plus en plus violent. De plus en plus d'Américains pensent que la violence est une réponse appropriée à leurs adversaires politiques. De plus en plus d'Américains croient que la violence est une réponse appropriée à leurs opposants politiques. Et je ne parle même pas des facteurs environnementaux, ou des inégalités qui sont arrivées à des niveaux jamais vus aux États-Unis.
Vous présentez cinq scénarios qui pourraient mener selon vous à l'explosion des États-Unis. Le premier est assez intéressant : c'est l'histoire d'un pont dans un État conservateur qui est fermé par les autorités fédérales pour des raisons de sécurité. Et vous décrivez le mouvement de résistance pour garder ce pont ouvert, mouvement qui dégénère, et qui est mené par un shérif local. Vous écrivez que les Américains ont toujours eu dans leurs veines la résistance à l'État fédéral. Comment vous l'expliquez ?
C'est un peuple révolutionnaire. Les États-Unis ont été fondés à l'issue d'un mouvement de résistance à l'autorité fédérale. Et en fait, la Constitution limite fortement le pouvoir de l'autorité fédérale. Tout ce que j'ai écrit dans ce scénario existe déjà. L'aile droite de la politique américaine est en proie au patriotisme anti-gouvernemental. Ils croient qu'être contre leur propre gouvernement est l'expression première de leur amour pour leur pays. Cette contradiction a, bien sûr, toujours existé. Mais la forme qu'elle a prise aujourd'hui est très toxique. C'est exactement ce que George Washington avait prévenu qu'il arriverait si les intérêts partisans devenaient incontrôlables. C'est fascinant. Le premier président des États-Unis a prophétisé très précisément ce qui se passe actuellement en Amérique.
Vous évoquez aussi, Stephen Marche, l’impact du réchauffement climatique. Cela a déjà un impact sur la vie quotidienne des Américains, c'est un facteur de division aux États-Unis ?
Aux États-Unis, nous commençons déjà à voir des réfugiés climatiques. La crise à la frontière des États-Unis, à la frontière sud, est le résultat de très graves épisodes de sécheresse en Amérique centrale. Cela a un effet déstabilisant pour les États-Unis. Mais je pense que l'Amérique, elle-même, n'est pas préparée. Ils n'ont pas pris les bonnes mesures dans les villes de la côte Est. New York est incroyablement vulnérable. C'est une véritable capitale mondiale et elle est extrêmement exposée aux ouragans, ce qui n'était pas le cas il y a 20 ans.
Est-ce que la probabilité d'une guerre civile a évolué depuis la publication aux États-Unis de votre livre ? Est-ce qu'il y a un effet Biden ?
Les tendances dont je parle ici sont très profondes et ont des conséquences à très long terme. Lorsque j'ai écrit ce livre, la guerre civile à laquelle je pensais était pour 2040. Parce qu'au fil du temps, la Cour suprême est de moins en moins respectée. Chaque année, l'hyper partisanerie s'intensifie, chaque année, les inégalités se creusent. Chaque année, le changement climatique a plus d'impact. Et ce sont ces choses qui comptent vraiment. Il y aura donc des années meilleures ou pires. Mais les pays ne peuvent tout simplement pas se remettre d'une telle situation.
Vous n'êtes pas Américain, vous êtes Canadien. Qu'est-ce que ça change de commenter, d'évoquer la guerre civile aux États-Unis lorsqu'on n'est pas de nationalité américaine ?
Je pense que les Canadiens ont une vision très particulière de l'Amérique. Parce que, bien sûr, nous sommes imprégnés de la culture américaine. Nous sommes en quelque sorte aux premières loges de leur tragédie. Et cet effondrement américain est un désastre total pour nous. Les États-Unis sont notre principal partenaire commercial. Les États-Unis assurent notre sécurité. Cela aurait des conséquences énormes pour les Canadiens. Ainsi, nous sommes des spectateurs attentifs de ce qui se passe de l'autre côté de la frontière. Et en même temps, être canadien me permet d'avoir une certaine distance. Je n'ai rien à voir avec ce combat. Je ne suis pas consumé par la même fureur politique que les Américains les plus rationnels.